Jad Bio par Vox


Extravagance et métamorphoses, artifice et jeux de miroirs, sexe et rock and roll : voilà trois décennies que Jad Wio, loin des chapelles et des cénacles, dessine une trajectoire d’OVNI dans le ciel du rock and roll hexagonal. De disques mémorables en performances scéniques spectaculaires, l’étrange, charismatique et très élégant Denis Bortek n’a jamais suivi d’autre voie que celle-là : scruter à travers le prisme du bizarre la galerie de ses avatars afin de les mieux dévoiler. Des origines à aujourd’hui, bref survol de l’histoire de Jad Wio.

« Notre esthétique est glamour, stonienne. Nous sommes des enfants qui avons hérité de l’élégance et de la fantaisie héroïque du glam rock. Quand il est question d’inventer sa vie pour en faire quelque chose qui échappe à la règle des conformismes : une œuvre personnelle excentrique. »

– Denis Bortek

Bortek invente Jad Wio à l’aube des eighties. D’un projet de roman il retient le personnage principal – Jad Wiolensky – dont il abrège le nom et revêt le masque. Une première cassette auto-produite en solo, L’un Seul, est distribuée avant que le groupe ne trouve son équilibre avec l’entrée en lice de Kbye :

Jad Wio sera une hydre à deux têtes. Dès les premiers concerts – 1983, 1984 : guitares, voix, bandes et machines – le duo décadent frenchy impose son style peu commun et ameute hordes batcave et oiseaux électriques en tout genre. Obsession pour le bizarre et pour les marges : d’emblée, Jad Wio est un groupe inclassable.

Entre 1985 et 1986 sortent trois maxis – The Ballad Of Candy Valentine, Colours In My Dreams et Aubade A Simbad – que l’on trouve réunis sur Cellar Dreams, anthologie de Jad Wio première époque. S’y mêlent, dans les relents cold & dark d’alors, fascinations rock and roll et réminiscences orientales. Sans relâche, Jad Wio s’exhibe sur toutes les scènes de France et – à l’étroit dans l’hexagone, le groupe chante essentiellement en anglais – à travers toute l’Europe.

Des expériences qui inspirent les ambiances et le thème du disque à venir : Contact.

Celui-ci paraît en 1989, sous une pochette d’après un photomontage de Pierre Molinier. Premier véritable album, il donne à Jad Wio ses lettres – SM – de noblesse. C’est une virée dans un demi-monde interlope que Bortek et Kbye orchestrent en une grande mêlée où se rencontrent fétichisme, bondage et sexe équivoque. Avec, cette fois, des textes en français. Contact est un manifeste pervers et délicieux fidèle à ces trois principes : sexe, rock and roll et sens de l’esthétique. Le duo se mue en groupe à part entière pour porter sur scène les thèmes salaces du disque : avec Nicolas Mingot d’abord puis Alice Botté à la guitare, Gangster à la basse et Charlie Doll à la batterie. Jad Wio promène partout son peep-show hot et sexy et marque sérieusement les esprits. Au point qu’aujourd’hui encore, l’estampille sado-masochiste colle à la peau du groupe.

Pourtant, dès 1992, l’esthétique SM cède le pas à une rêverie cosmique et romantique aux accents swedenborgiens : c’est Fleur de Métal, réalisé sous la houlette électro-pop et délicate de Bertrand Burgalat. On pénètre dans ce disque comme en un boudoir de science-fiction dans lequel nous est contée – en français, toujours, et à mots très choisis – la quête interstellaire d’une chimère de l’espace, d’un amour idéal. Bortek crée pour la tournée un spectacle total, exubérant et plein d’audace où intimisme, narcissisme, onirisme, exhibitionnisme et transformisme règnent en maîtres : soutenu par ses acolytes costumés et perruqués façon Warhol – Christophe Kbye, Alice Botté et les nouveaux venus Arnaud Dieterlen à la batterie et Serge Cortin à la basse – il incarne son Beatnik de l’Espace en digne héritier des sex stars du glam rock. Des backrooms terrestres aux bordels de l’espace, il n’y a pas loin : les concerts et leur débauche d’artifices sont là pour le rappeler. Un album live, Cosmic Show, témoigne du succès de l’entreprise… mais sans Kbye, qui quitte le groupe fin 1992.

1995 voit surgir Monstre-toi, troisième volet du triptyque initié avec Contact. Bortek y développe un de ses thèmes fétiches : les freaks. Dans sa galerie des horreurs très personnelle, vampires, zombies et morts vivants mènent une danse où se mêlent sensibilités anglo-saxonnes et continentales, où les travestis, déviants et monstres divers du Berlin décadent de Weimar croisent ceux du rock électrique, ambigu et outrageux. C’est Le Baron – homme-orchestre mystérieux et nouvel alter-ego de Bortek – qui compose et arrange la bande-son de ce bal des monstres. Des shows fantasques et théâtraux mettent en scène le cauchemar, entre Screamin’ Jay Hawkins, Alice Cooper et Rocky Horror Picture Show.

Trop d’extravagance à l’échelle de la France ? En 1996, Jad Wio fait partie ici des derniers tenants d’une esthétique glamour et raffinée que les foules hexagonales ne semblent pas encore prêtes à admettre. Le temps est venu pour Bortek de mettre en sommeil l’aventure jadwiesque. Hormis quelques shows à tendance électro en 2001, avec Christophe Schwob aux machines, Jad Wio s’efface. Jusqu’au printemps 2004 : deux shows inespérés – et sold out – à la Boule Noire scellent les retrouvailles et démontrent que le groupe n’a pas disparu des mémoires. La machine est remise en branle.

En 2005, l’album Nu Cle Air Pop, réalisé par le tandem Bortek-Schwob, est dans les bacs. Une jouvence merveilleuse qui voit en outre le retour de Christophe Kbye, et celui du duo original sur scène pour une tournée française au printemps 2006. Le périple tient le pari de combler les fidèles et de subjuguer nombre de novices. Les énergies réveillées et l’envie d’en découdre conduisent alors naturellement Bortek et Kbye à l’écriture et l’enregistrement de nouvelles chansons, exclusivement en français.

Sex Magik est publié en 2007 : un écrin de pur rock and roll qui passe en revue la mythologie jadwiesque et décline en treize titres, à la façon d’un roman noir, la véritable histoire de Lilith Von Sirius, égérie underground et courtisane de luxe. Une nouvelle page de l’histoire de Jad Wio s’écrit alors, qui confirme la profonde singularité du duo Bortek-Kbye, obstinément en marge des tendances. Les concerts – en groupe ou à deux – sont à la mesure des promesses du disque et partout battent le rappel des aficionados. Jusqu’en 2009, où Jad Wio se produit à la Maison des Métallos le temps de deux concerts à guichets fermés, concerts en forme de rétrospective qui laissent penser que le groupe tire sa révérence…

De fait, de 2010 à 2014, Denis Bortek se consacre à son nouveau projet, Mr. D & the Fangs, et enregistre l’album 1888, variation en neuf tableaux sur L’Étrange Cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde. Mais en 2015, le monstre Jad Wio se réveille, d’abord accompagné sur scène par les Fangs, puis sous la forme bicéphale Bortek-Kbye. Si les concerts mettent en valeur le répertoire historique, ils suscitent également le désir d’écrire la suite de l’aventure.

En 2020 paraît le 45 tours Magdalena, prélude à une ribambelle de compositions nouvelles, façonnées et enregistrées avec Ilan Sberro à l’Auditorium de Saint-Ouen. Sous le titre Cadavre Exquis, celles-ci sont dévoilées en 2022 et 2023 sous la forme de deux EP produits et distribués en toute indépendance, loin d’une industrie musicale aussi ingrate que moribonde. Deux disques qui, tout en renouant avec la tradition jadwiesque – guitares et voix immarcescibles, boîte à rythme TR-707 et clavier analogique SH-101 –, témoignent d’une liberté totale et d’une allégresse musicale et lexicale tout à fait jubilatoire.

Preuve, s’il était besoin, que Jad Wio, toujours en avance d’un ou deux coups sur l’échiquier du rock frenchy et plus que jamais à l’écart des sentiers battus et rebattus, demeure fidèle à sa légende.

Vox

 

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